Chambres de l’agriculture: étendue des pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable désigné par le CSE dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière

Etablissements publics employant tant des agents statutaires que des salariés de droit privé, les Chambres d’agricultures sont assujetties à l’obligation de mise en place d’un Comité social et économique. L’expert-comptable désigné par cette instance lors de sa consultation sur la situation économique et financière de l’établissement est en droit d’accéder à l’ensemble des documents qu’il estime nécessaires à sa mission dès lors que ceux-ci existent, sans que les Chambres d’agriculture ne puissent limiter ses pouvoirs d’investigation à leurs activités industrielles et commerciales.

Les Chambres d’agriculture sont des établissements chargés de représenter les différents acteurs du monde agricole, rural et forestier (exploitants, propriétaires, salariés, groupements professionnels…).

Leurs prérogatives sont très vastes : elles accompagnent les exploitations agricoles (gestion des dossiers de création ou de cessation d’activité agricole, appui aux projets des jeunes agriculteurs, …), exercent des missions de représentation auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales, sont chargéesd’informer les agriculteurs sur la réglementation nationale et européenne ou réalisent des missions d’appui au dépôt de demandes d’assistance à la mise en conformité avec cette réglementation.  

Etablissements publics consulaires, les Chambres d’agriculture emploient du personnel soumis à des conditions d’emploi différentes :

  • Des agents publics statutaires, qui ne relèvent ni du Code du travail, ni des règles applicables aux fonctionnaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière mais sont soumis au Statut du personnel administratif des chambres d’agriculture en application d’une loi du 10 décembre 1952 (Loi n° 52-1311 « relative à l’établissement obligatoire d’un statut du personnel administratif des chambres d’agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers ») ;
  • Des salariés de droit privé, pour lesquels la relation de travail est régie par le Code du travail.

Cette singularité trouve une autre illustration en matière de représentation du personnel :

Le Statut du personnel administratif des Chambres d’agriculture prévoit la mise en place au sein de chaque établissement d’une Commission paritaire composée de représentants de l’établissement – dont son Directeur général – ainsi que de représentants « du personnel de droit public et de droit privé, représentant chacune des catégories d’emplois se rattachant au même métier ou à un métier similaire » (titre IV, article 8 du Statut).

Le Statut précise que « les représentants du personnel à la commission paritaire jouent le rôle de délégués du personnel ».

En parallèle, les Chambres d’agriculture qui emploient plus de onze salariés de droit privé sont tenues d’instituer un Comité social et économique (CSE).

En effet, le Code du travail exige la mise en place d’un CSE dans les établissements de droit public employant des salariés dans les conditions de droit privé (article L. 2311-1 du Code du travail).

Non seulement les prérogatives respectives de ces deux instances ont peu été précisées par la jurisprudence, mais un Rapport parlementaire de décembre 2020 a mis en évidence l’opacité du fonctionnement des Chambres d’agriculture (« Rapport d’information par la Mission d’information commune relative aux Chambres d’agriculture et à leur financement »).

Parmi 30 recommandations, la Mission d’information commune chargée de la rédaction de ce Rapport a préconisé un rapprochement significatif des règles applicables aux agents des règles de droit du travail, ainsi qu’une unification du statut de l’ensemble des personnels (recommandation n°10 du Rapport).

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers le 14 juin 2022 répond pleinement à ce souhait.

Dans sa décision, la Cour d’appel retient que les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable désigné par le CSE d’une Chambre d’agriculture lors de sa consultation sur la situation économique et financière sont identiques à ceux dont il dispose dans un établissement privé classique.

En juin 2021, la Chambre d’agriculture de Charente Maritime a ouvert une procédure d’information du CSE en vue de sa consultation sur la situation économique et financière de l’établissement.

Il s’agissait de la première consultation engagée depuis la mise en place de l’instance plus d’un an plus tôt.

Usant du droit à l’expertise prévu par l’article L. 2315-88 du Code du travail, le CSE a désigné un expert-comptable pour l’assister dans le cadre de cette consultation.

La Chambre d’agriculture n’a pas contesté le principe d’une telle désignation, mais l’expert du CSE s’est rapidement heurté au refus de la Direction de lui communiquer les informations qu’il sollicitait pour réaliser sa mission.

Au soutien de sa position, la Chambre d’agriculture a affirmé que le champ de la consultation du CSE – et, par conséquent, de l’expertise – devait être circonscrit aux activités industrielles et commerciales de l’établissement, au motif qu’elles seraient les seules à employer des salariés de droit privé.

Cela revenait à soutenir que les prérogatives du CSE concerneraient uniquement les salariés de droit privé et non les agents soumis au Statut.

Confrontés à une situation de blocage, le CSE et le Cabinet d’expertise ont saisi le Tribunal judiciaire de la Rochelle dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, afin qu’il ordonne la communication à l’expert-comptable de l’ensemble des documents souhaités par ce dernier.

Par un jugement du 22 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de la Rochelle a refusé de faire droit à ces demandes.

Au motif que l’obligation de mise en place d’un CSE au sein d’un établissement public résulte de l’emploi de salariés de droit privé dans cet établissement, le Tribunal en a déduit que le CSE n’a pas de pouvoir de représentation de son personnel administratif.

Il a considéré que la consultation du CSE ne pouvait porter que sur la sphère économique privée de l’établissement public.

Par une décision particulièrement motivée, la Cour d’appel de Poitiers a intégralement censuré cette décision.

Pour ce faire, elle s’est livrée à une interprétation stricte des dispositions du Code du travail.

L’article L. 2311-1 du Code du travail dispose :

  • D’une part, que les dispositions du Titre Ier relatif au « Comité social et économique » du Livre III de la deuxième partie du Code du travail sont applicables aux établissements publics qui emploient du personnel dans les conditions du droit privé ;
  • D’autre part, que les dispositions de ce Titre Ier peuvent faire l’objet d’adaptations compte tenu des spécificités des établissements publics, sous réserve toutefois d’assurer les mêmes garanties aux salariés de ces établissements.

Il convient de souligner à ce stade que les dispositions relatives aux consultations récurrentes – et notamment à la consultation sur la situation économique et financière (article L. 2312-17 du Code du travail) -, à l’assistance du CSE par un expert-comptable dans le cadre de cette consultation (article L. 2315-88 du Code du travail), ou encore à l’étendue des pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable (article L. 2315-90 du Code du travail) figurent toutes dans ce Titre Ier.

Pour que l’étendue des attributions du CSE d’une Chambre d’agriculture ou les pouvoirs d’investigation de son expert-comptable puissent être limités, il faut donc que des dispositions d’adaptation au sens de l’article L. 2311-1 précité le prévoient.

La Cour de Cassation a été amenée à juger que le Statut du personnel administratif des Chambres d’agriculture constitue une disposition d’adaptation au sens de ce texte (Cass. Soc., 9 octobre 2012, n° 11-22.355, 11-22.350, 11-22.353).

Or, ce Statut ne prévoit aucun aménagement des droits du CSE ou des pouvoirs de son expert.

La conclusion à en tirer est simple : puisque ni le Statut, ni aucun autre texte de même valeur ne limite l’étendue des attributions du CSE ou n’aménage la mission de l’expert-comptable qu’il désigne, rien ne justifie que l’expertise soit réduite à certains pans de l’activité des Chambres d’agriculture.

Comme les appelants le soutenaient, il convient bien d’appliquer les règles classiques applicables aux sociétés de droit privé, telles qu’elles sont prévues par le législateur et qu’elles ont été précisées par la jurisprudence.

Aussi, dans les Chambres d’agriculture comme dans les autres sociétés privées, l’expert-comptable assistant le CSE lors de la consultation sur la situation économique et financière :

  • dispose des pouvoirs d’investigation les plus larges, sa mission pouvant porter sur « tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise » (article L. 2315-89 du Code du travail) ;
  • a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes (article L. 2315-90 du Code du travail), de sorte qu’il peut solliciter toutes les pièces qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission (article L. 823-13 du Code de commerce) ;
  • est seul juge des documents dont il réclame la communication, ni le chef d’entreprise, ni le juge ne pouvant apprécier leur utilité (Cass. Soc, 5 mars 2008, n°07-12754) ;
  • ne peut se voir opposer la confidentialité des documents qu’il sollicite (Cass. Soc, 15 décembre 2009, n°08-18228) ;

Les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable ne sont pas pour autant absolus.

D’une part, le juge peut toujours sanctionner un abus de droit caractérisé (Cass. Soc, 12 sept. 2013, n°13-12.200).

D’autre part, l’expert-comptable ne peut accéder qu’aux documents qui existent dans l’entreprise. Ainsi, les juges retiennent qu’il ne peut exiger la communication que de documents dont l’établissement est obligatoire ou, pour ceux dont l’établissement ne l’est pas, qui existent (Cass. Soc, 27 mai 1997, n° 95-21882). A l’inverse, il ne peut exiger que des documents non obligatoires et qui n’existent pas soient spécialement établis à son intention (Tribunal de grande instance de Toulouse, 10 novembre 2011, n°11/02367).

Sur ce point réside un second apport de l’arrêt du 14 juin 2022.

Les Chambres d’agriculture n’étant pas des sociétés commerciales, la consultation du CSE porte sur « les documents comptables qu’elles établissent » (article L. 2312-25 du Code du travail).

Si les règles de la comptabilité privée ne sont pas identiques à celles applicables aux Chambres d’agriculture, la Cour confirme sans équivoque que ces spécificités comptables n’ont pas d’incidence sur le droit de communication dont dispose l’expert-comptable du CSE.

Plus encore, elle retient qu’il ne peut être reproché à l’expert-comptable de ne pas connaître dans le détail les règles comptables applicables au sein d’une Chambre d’agriculture.

Faisant application du principe selon lequel la demande de l’expert-comptable porte sur des informations et non sur des documents dont l’intitulé serait déterminant, la Cour souligne que le fait que les demandes de l’expert aient été présentées en des termes faisant référence à la comptabilité privée ne permet pas à l’employeur de s’exonérer de son obligation de communication.

Il lui revient au contraire de remettre à l’expert les informations qu’il sollicite, y compris par la communication de données brutes.

Il s’agit d’un point qui avait été retenu quelques mois plus tôt par le Tribunal judiciaire de Saint Etienne dans un autre contentieux opposant un Cabinet d’expertise-comptable à une Chambre d’agriculture. Dans cette affaire, le Tribunal avait autorisé l’expert-comptable à accéder à des données brutes par le biais d’extractions comptables (Tribunal judiciaire de Saint Etienne, 7 octobre 2021, n°21/00458).

La Cour de Cassation a récemment confirmé que l’expert-comptable peut accéder aux éléments « bruts » lorsqu’ils sont utiles à son analyse (Cass. Soc, 18 mai 2022, n°20-21144). 

La Cour d’appel fait ici application de ce principe : dès lors que les documents ou données en cause existent et que les demandes initiales de l’expert permettaient de les identifier avec précision, l’employeur doit les mettre à disposition de l’expert-comptable du CSE.

On ne peut que se réjouir de ces clarifications, qui devraient permettre de renforcer les droits des instances représentatives du personnel des Chambres d’agriculture.

Etablissements publics employant tant des agents statutaires que des salariés de droit privé, les Chambres d’agricultures sont assujetties à l’obligation de mise en place d’un Comité social et économique. L’expert-comptable désigné par cette instance lors de sa consultation sur la situation économique et financière de l’établissement est en droit d’accéder à l’ensemble des documents qu’il estime nécessaires à sa mission dès lors que ceux-ci existent, sans que les Chambres d’agriculture ne puissent limiter ses pouvoirs d’investigation à leurs activités industrielles et commerciales.

Les Chambres d’agriculture sont des établissements chargés de représenter les différents acteurs du monde agricole, rural et forestier (exploitants, propriétaires, salariés, groupements professionnels…).

Leurs prérogatives sont très vastes : elles accompagnent les exploitations agricoles (gestion des dossiers de création ou de cessation d’activité agricole, appui aux projets des jeunes agriculteurs, …), exercent des missions de représentation auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales, sont chargéesd’informer les agriculteurs sur la réglementation nationale et européenne ou réalisent des missions d’appui au dépôt de demandes d’assistance à la mise en conformité avec cette réglementation.  

Etablissements publics consulaires, les Chambres d’agriculture emploient du personnel soumis à des conditions d’emploi différentes :

  • Des agents publics statutaires, qui ne relèvent ni du Code du travail, ni des règles applicables aux fonctionnaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière mais sont soumis au Statut du personnel administratif des chambres d’agriculture en application d’une loi du 10 décembre 1952 (Loi n° 52-1311 « relative à l’établissement obligatoire d’un statut du personnel administratif des chambres d’agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers ») ;
  • Des salariés de droit privé, pour lesquels la relation de travail est régie par le Code du travail.

Cette singularité trouve une autre illustration en matière de représentation du personnel :

Le Statut du personnel administratif des Chambres d’agriculture prévoit la mise en place au sein de chaque établissement d’une Commission paritaire composée de représentants de l’établissement – dont son Directeur général – ainsi que de représentants « du personnel de droit public et de droit privé, représentant chacune des catégories d’emplois se rattachant au même métier ou à un métier similaire » (titre IV, article 8 du Statut).

Le Statut précise que « les représentants du personnel à la commission paritaire jouent le rôle de délégués du personnel ».

En parallèle, les Chambres d’agriculture qui emploient plus de onze salariés de droit privé sont tenues d’instituer un Comité social et économique (CSE).

En effet, le Code du travail exige la mise en place d’un CSE dans les établissements de droit public employant des salariés dans les conditions de droit privé (article L. 2311-1 du Code du travail).

Non seulement les prérogatives respectives de ces deux instances ont peu été précisées par la jurisprudence, mais un Rapport parlementaire de décembre 2020 a mis en évidence l’opacité du fonctionnement des Chambres d’agriculture (« Rapport d’information par la Mission d’information commune relative aux Chambres d’agriculture et à leur financement »).

Parmi 30 recommandations, la Mission d’information commune chargée de la rédaction de ce Rapport a préconisé un rapprochement significatif des règles applicables aux agents des règles de droit du travail, ainsi qu’une unification du statut de l’ensemble des personnels (recommandation n°10 du Rapport).

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers le 14 juin 2022 répond pleinement à ce souhait.

Dans sa décision, la Cour d’appel retient que les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable désigné par le CSE d’une Chambre d’agriculture lors de sa consultation sur la situation économique et financière sont identiques à ceux dont il dispose dans un établissement privé classique.

En juin 2021, la Chambre d’agriculture de Charente Maritime a ouvert une procédure d’information du CSE en vue de sa consultation sur la situation économique et financière de l’établissement.

Il s’agissait de la première consultation engagée depuis la mise en place de l’instance plus d’un an plus tôt.

Usant du droit à l’expertise prévu par l’article L. 2315-88 du Code du travail, le CSE a désigné un expert-comptable pour l’assister dans le cadre de cette consultation.

La Chambre d’agriculture n’a pas contesté le principe d’une telle désignation, mais l’expert du CSE s’est rapidement heurté au refus de la Direction de lui communiquer les informations qu’il sollicitait pour réaliser sa mission.

Au soutien de sa position, la Chambre d’agriculture a affirmé que le champ de la consultation du CSE – et, par conséquent, de l’expertise – devait être circonscrit aux activités industrielles et commerciales de l’établissement, au motif qu’elles seraient les seules à employer des salariés de droit privé.

Cela revenait à soutenir que les prérogatives du CSE concerneraient uniquement les salariés de droit privé et non les agents soumis au Statut.

Confrontés à une situation de blocage, le CSE et le Cabinet d’expertise ont saisi le Tribunal judiciaire de la Rochelle dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, afin qu’il ordonne la communication à l’expert-comptable de l’ensemble des documents souhaités par ce dernier.

Par un jugement du 22 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de la Rochelle a refusé de faire droit à ces demandes.

Au motif que l’obligation de mise en place d’un CSE au sein d’un établissement public résulte de l’emploi de salariés de droit privé dans cet établissement, le Tribunal en a déduit que le CSE n’a pas de pouvoir de représentation de son personnel administratif.

Il a considéré que la consultation du CSE ne pouvait porter que sur la sphère économique privée de l’établissement public.

Par une décision particulièrement motivée, la Cour d’appel de Poitiers a intégralement censuré cette décision.

Pour ce faire, elle s’est livrée à une interprétation stricte des dispositions du Code du travail.

L’article L. 2311-1 du Code du travail dispose :

  • D’une part, que les dispositions du Titre Ier relatif au « Comité social et économique » du Livre III de la deuxième partie du Code du travail sont applicables aux établissements publics qui emploient du personnel dans les conditions du droit privé ;
  • D’autre part, que les dispositions de ce Titre Ier peuvent faire l’objet d’adaptations compte tenu des spécificités des établissements publics, sous réserve toutefois d’assurer les mêmes garanties aux salariés de ces établissements.

Il convient de souligner à ce stade que les dispositions relatives aux consultations récurrentes – et notamment à la consultation sur la situation économique et financière (article L. 2312-17 du Code du travail) -, à l’assistance du CSE par un expert-comptable dans le cadre de cette consultation (article L. 2315-88 du Code du travail), ou encore à l’étendue des pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable (article L. 2315-90 du Code du travail) figurent toutes dans ce Titre Ier.

Pour que l’étendue des attributions du CSE d’une Chambre d’agriculture ou les pouvoirs d’investigation de son expert-comptable puissent être limités, il faut donc que des dispositions d’adaptation au sens de l’article L. 2311-1 précité le prévoient.

La Cour de Cassation a été amenée à juger que le Statut du personnel administratif des Chambres d’agriculture constitue une disposition d’adaptation au sens de ce texte (Cass. Soc., 9 octobre 2012, n° 11-22.355, 11-22.350, 11-22.353).

Or, ce Statut ne prévoit aucun aménagement des droits du CSE ou des pouvoirs de son expert.

La conclusion à en tirer est simple : puisque ni le Statut, ni aucun autre texte de même valeur ne limite l’étendue des attributions du CSE ou n’aménage la mission de l’expert-comptable qu’il désigne, rien ne justifie que l’expertise soit réduite à certains pans de l’activité des Chambres d’agriculture.

Comme les appelants le soutenaient, il convient bien d’appliquer les règles classiques applicables aux sociétés de droit privé, telles qu’elles sont prévues par le législateur et qu’elles ont été précisées par la jurisprudence.

Aussi, dans les Chambres d’agriculture comme dans les autres sociétés privées, l’expert-comptable assistant le CSE lors de la consultation sur la situation économique et financière :

  • dispose des pouvoirs d’investigation les plus larges, sa mission pouvant porter sur « tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise » (article L. 2315-89 du Code du travail) ;
  • a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes (article L. 2315-90 du Code du travail), de sorte qu’il peut solliciter toutes les pièces qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission (article L. 823-13 du Code de commerce) ;
  • est seul juge des documents dont il réclame la communication, ni le chef d’entreprise, ni le juge ne pouvant apprécier leur utilité (Cass. Soc, 5 mars 2008, n°07-12754) ;
  • ne peut se voir opposer la confidentialité des documents qu’il sollicite (Cass. Soc, 15 décembre 2009, n°08-18228) ;

Les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable ne sont pas pour autant absolus.

D’une part, le juge peut toujours sanctionner un abus de droit caractérisé (Cass. Soc, 12 sept. 2013, n°13-12.200).

D’autre part, l’expert-comptable ne peut accéder qu’aux documents qui existent dans l’entreprise. Ainsi, les juges retiennent qu’il ne peut exiger la communication que de documents dont l’établissement est obligatoire ou, pour ceux dont l’établissement ne l’est pas, qui existent (Cass. Soc, 27 mai 1997, n° 95-21882). A l’inverse, il ne peut exiger que des documents non obligatoires et qui n’existent pas soient spécialement établis à son intention (Tribunal de grande instance de Toulouse, 10 novembre 2011, n°11/02367).

Sur ce point réside un second apport de l’arrêt du 14 juin 2022.

Les Chambres d’agriculture n’étant pas des sociétés commerciales, la consultation du CSE porte sur « les documents comptables qu’elles établissent » (article L. 2312-25 du Code du travail).

Si les règles de la comptabilité privée ne sont pas identiques à celles applicables aux Chambres d’agriculture, la Cour confirme sans équivoque que ces spécificités comptables n’ont pas d’incidence sur le droit de communication dont dispose l’expert-comptable du CSE.

Plus encore, elle retient qu’il ne peut être reproché à l’expert-comptable de ne pas connaître dans le détail les règles comptables applicables au sein d’une Chambre d’agriculture.

Faisant application du principe selon lequel la demande de l’expert-comptable porte sur des informations et non sur des documents dont l’intitulé serait déterminant, la Cour souligne que le fait que les demandes de l’expert aient été présentées en des termes faisant référence à la comptabilité privée ne permet pas à l’employeur de s’exonérer de son obligation de communication.

Il lui revient au contraire de remettre à l’expert les informations qu’il sollicite, y compris par la communication de données brutes.

Il s’agit d’un point qui avait été retenu quelques mois plus tôt par le Tribunal judiciaire de Saint Etienne dans un autre contentieux opposant un Cabinet d’expertise-comptable à une Chambre d’agriculture. Dans cette affaire, le Tribunal avait autorisé l’expert-comptable à accéder à des données brutes par le biais d’extractions comptables (Tribunal judiciaire de Saint Etienne, 7 octobre 2021, n°21/00458).

La Cour de Cassation a récemment confirmé que l’expert-comptable peut accéder aux éléments « bruts » lorsqu’ils sont utiles à son analyse (Cass. Soc, 18 mai 2022, n°20-21144). 

La Cour d’appel fait ici application de ce principe : dès lors que les documents ou données en cause existent et que les demandes initiales de l’expert permettaient de les identifier avec précision, l’employeur doit les mettre à disposition de l’expert-comptable du CSE.

On ne peut que se réjouir de ces clarifications, qui devraient permettre de renforcer les droits des instances représentatives du personnel des Chambres d’agriculture.

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