CSE: aménagement par accord des délais de consultation et d’expertise : sous quelle forme ? La saga “Lur Berri”

Même si elle a été initiée en 1946 et renforcée en 1982, l’intervention d’un expert-comptable auprès de l’instance qui s’appelait alors comité d’entreprise n’est toujours pas entrée dans les mœurs de certaines directions. Pour preuve, une saga qui vient de s’achever en 2022 au bout de cinq ans.

Mission 1 : En 2016, le CE d’une coopérative agricole décide de recourir à l’assistance d’un cabinet d’expertise comptable spécialisé dans les missions d’assistance légale auprès des CE pour l’assister dans ses consultations annuelles sur la situation économique et financière et sur la politique sociale. La lettre de mission était beaucoup plus large que celle du cabinet qui intervenait jusque-là, en se bornant à un commentaire de la liasse fiscale, et les honoraires plus élevés.

Dans un premier temps, la direction va refuser de transmettre la moindre information tant qu’un accord n’est pas intervenu sur le montant des honoraires, et va finalement adresser les premiers documents au cabinet exactement deux mois moins un jour après la désignation de l’expert-comptable, soit… le 31 décembre 2016.

La BDES est abondée mi-janvier, et les échanges et transmission d’informations à l’expert-comptable vont se poursuivre jusqu’au mois de mars, date à laquelle sera remis le rapport dans l’attente d’une réunion de présentation et de consultation qui se tiendra à la fin du mois d’avril.

A réception de la facture, la direction va alors déclarer à l’expert-comptable que le rapport a été remis hors délai puisque le délai de consultation était expiré au 31 décembre, voire mi-janvier, à une date à laquelle le CE était réputé avoir rendu un avis négatif, et qu’en conséquence, elle ne paiera pas les honoraires réclamés.

Elle va ensuite demander au TGI de confirmer qu’elle n’est pas tenue au paiement des honoraires.

Le Tribunal va rejeter sa demande, en soulignant d’une part, qu’elle n’avait pas transmis les informations demandées dans le délai légal de cinq jours, et relevé que les délais de consultation du comité pouvaient être prolongés par accord, ce qu’elle avait fait en acceptant de convoquer la réunion de consultation en avril 2017.

L’entreprise va relever appel de cette décision.

Puis, en septembre 2017, le CE va désigner le même expert-comptable pour l’assister à nouveau en vue des mêmes consultations annuelles (mission 2).

La direction va contester le périmètre de la mission, le nombre de jours de travail et le coût annoncé, et après plusieurs échanges, va acter au mois de novembre d’un calendrier de déroulement des expertises marquant une « convergence sur le processus ». Ce calendrier va être scrupuleusement respecté. La consultation du CE aura lieu en février 2018. Mais, à réception de la facture du cabinet, la direction va refuser de payer les honoraires au motif que la désignation de l’expert-comptable était intervenue de manière anticipée avant la réunion d’ouverture des consultations.

Entre temps, la Cour d’appel saisie du litige sur la mission 1 va confirmer la décision de première instance, en relevant que la direction ne démontrait pas avoir convoqué le CE dans le délai de consultation qu’elle estimait applicable pour recueillir son avis, de sorte qu’elle ne pouvait pas opposer l’expiration du délai pour refuser de payer les honoraires de l’expert-comptable.

La direction formait un pourvoi contre cet arrêt.

Cette fois, c’est l’expert-comptable qui va saisir le TJ après avoir connaissance de l’arrêt précité, et obtenir gain de cause, le juge soulignant que le caractère prématuré de la désignation n’avait jamais été soulevé et qu’au contraire, un accord avait été trouvé sur le déroulement de l’expertise, valant engagement de l’entreprise sur lequel il n’y avait pas lieu de revenir.

La direction va relever appel de cette décision.

En septembre 2018, le CE va désigner pour la troisième fois l’expert-comptable, et la direction va à nouveau immédiatement contester les honoraires et le périmètre de la mission. Le CE va même devoir demander une réunion exceptionnelle, en mars 2019… pour sa propre consultation. La facture de l’expert-comptable ne sera pas réglée, les explications tenant à une désignation prématurée arrivant sept mois plus tard (mission 3).

Or, à cette date, la direction avait pris connaissance de l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel relative à la mission 2, qui écartait l’argument tenant au caractère prématuré de la désignation au regard du courrier de la direction actant un accord entre les parties sur le déroulement de l’expertise.

La direction va former un pourvoi contre cette décision.

En janvier 2020, le CE devenu CSE va désigner le même expert-comptable pour la quatrième année consécutive. A réception des honoraires prévisionnels, la direction a saisi le Tribunal d’une demande de réduction de leur montant ; mais le juge a relevé d’office l’irrecevabilité de la demande, sans inviter les parties à s’expliquer sur ce moyen. La direction a donc saisi la Cour de cassation. Les délais de consultation ont repris, et la facture définitive n’a été ni payée, ni contestée judiciairement dans le délai de dix jours (mission 4).

Au mois de juillet 2020, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi formé à l’occasion de la mission 1, et dit pour droit qu’« un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d’entreprise et l’employeur peut cependant fixer d’autres délais que ceux prévus à l’article R. 2323-1-1 précité, les prolonger, ou modifier leur point de départ » et approuvé la Cour d’appel d’avoir relevé qu’ « à la suite d’échanges avec le comité d’entreprise et le cabinet d’expertise, l’employeur a abondé la base de données économiques et sociales le 23 janvier 2017, provoqué une réunion extraordinaire du comité d’entreprise le 16 février 2017 pour discuter du périmètre et du coût de l’expertise puis fixé, conjointement avec le secrétaire du comité d’entreprise, au 27 avril 2017 la date de restitution des travaux d’expertise et de remise des avis du comité d’entreprise » pour en déduire que «les délais de consultation du comité d’entreprise, et par conséquent de l’expertise, avaient d’un commun accord été prolongés » (Cass.Soc.8.07.2020, 19.10-987).

En décembre 2020, pour la cinquième année consécutive, le CSE décide de se faire assister du même cabinet d’expertise-comptable à l’occasion de ses consultations annuelles obligatoires (mission 5).

La mission se déroule normalement, mais, à réception de la facture définitive, la direction va saisir le Tribunal judiciaire d’une demande de réduction des honoraires. Juste avant la clôture, la Cour de cassation rend sa décision relative à la mission 2, et rejette le pourvoi et souligne : « après une réunion de travail qui s’est tenue le 8 novembre 2017, la direction a adressé le même jour au cabinet d’expertise un courrier transcrivant le calendrier convenu pour le déroulement des missions, le calendrier des expertises en lien avec les consultations étant arrêté et la date du 16 février 2018 ayant été retenue pour la réunion du comité d’entreprise relative à la restitution des rapports d’expertise et d’expression des avis du comité d’entreprise sur la politique sociale et sur la situation économique et financière, et que l’employeur avait réglé une partie des honoraires, la cour d’appel a pu en déduire l’existence d’un accord par lequel l’employeur s’est engagé quant au bien-fondé de l’expertise ordonnée pour assister le comité d’entreprise lors des consultations sur la situation économique et financière de l’entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et d’emploi » (Cass.Soc.9.03.2022, 20-22.582).

En 2021, la mission 6 se déroule sans difficulté, et les honoraires sont payés.

Le 5 juillet 2022, le Tribunal judiciaire déboute la direction de sa contestation d’honoraires et, faisant droit à la demande reconventionnelle du cabinet d’expertise-comptable, la condamne à lui payer, outre les honoraires de la mission 5, ceux de la mission 3 jamais réglés, et ceux de la mission 4 puisque la facture définitive n’avait pas été contestée dans les délais.

L’entreprise fait appel.

Entretemps, le 6 avril 2022, la Cour de cassation a cassé la décision du premier juge relative à la mission 4, et renvoyé les parties devant la même juridiction.

Finalement, les parties se sont rapprochées et un accord a été trouvé. Le départ en retraite du président n’y est pas totalement étranger.

Aux dernières nouvelles, la mission 7 se déroule sans anicroche… et le feuilleton devrait s’arrêter là.

Cette saga aura permis d’éclaircir deux points :

  • L’accord relatif à l’aménagement du délai de consultation du CSE et du déroulement de l’expertise ne résulte pas nécessairement d’un accord collectif ou d’un accord formel avec le comité, mais peut être établi par un faisceau d’indices (communication d’informations, convocation à une réunion du comité au-delà du délai légal, échanges écrits sur un calendrier…)
  • Même informel, l’accord sur l’aménagement du délai de consultation et sur l’expertise engage l’employeur, et emporte renonciation à toute contestation relative notamment au caractère prématuré de la désignation de l’expert-comptable.

Même si elle a été initiée en 1946 et renforcée en 1982, l’intervention d’un expert-comptable auprès de l’instance qui s’appelait alors comité d’entreprise n’est toujours pas entrée dans les mœurs de certaines directions. Pour preuve, une saga qui vient de s’achever en 2022 au bout de cinq ans.

Mission 1 : En 2016, le CE d’une coopérative agricole décide de recourir à l’assistance d’un cabinet d’expertise comptable spécialisé dans les missions d’assistance légale auprès des CE pour l’assister dans ses consultations annuelles sur la situation économique et financière et sur la politique sociale. La lettre de mission était beaucoup plus large que celle du cabinet qui intervenait jusque-là, en se bornant à un commentaire de la liasse fiscale, et les honoraires plus élevés.

Dans un premier temps, la direction va refuser de transmettre la moindre information tant qu’un accord n’est pas intervenu sur le montant des honoraires, et va finalement adresser les premiers documents au cabinet exactement deux mois moins un jour après la désignation de l’expert-comptable, soit… le 31 décembre 2016.

La BDES est abondée mi-janvier, et les échanges et transmission d’informations à l’expert-comptable vont se poursuivre jusqu’au mois de mars, date à laquelle sera remis le rapport dans l’attente d’une réunion de présentation et de consultation qui se tiendra à la fin du mois d’avril.

A réception de la facture, la direction va alors déclarer à l’expert-comptable que le rapport a été remis hors délai puisque le délai de consultation était expiré au 31 décembre, voire mi-janvier, à une date à laquelle le CE était réputé avoir rendu un avis négatif, et qu’en conséquence, elle ne paiera pas les honoraires réclamés.

Elle va ensuite demander au TGI de confirmer qu’elle n’est pas tenue au paiement des honoraires.

Le Tribunal va rejeter sa demande, en soulignant d’une part, qu’elle n’avait pas transmis les informations demandées dans le délai légal de cinq jours, et relevé que les délais de consultation du comité pouvaient être prolongés par accord, ce qu’elle avait fait en acceptant de convoquer la réunion de consultation en avril 2017.

L’entreprise va relever appel de cette décision.

Puis, en septembre 2017, le CE va désigner le même expert-comptable pour l’assister à nouveau en vue des mêmes consultations annuelles (mission 2).

La direction va contester le périmètre de la mission, le nombre de jours de travail et le coût annoncé, et après plusieurs échanges, va acter au mois de novembre d’un calendrier de déroulement des expertises marquant une « convergence sur le processus ». Ce calendrier va être scrupuleusement respecté. La consultation du CE aura lieu en février 2018. Mais, à réception de la facture du cabinet, la direction va refuser de payer les honoraires au motif que la désignation de l’expert-comptable était intervenue de manière anticipée avant la réunion d’ouverture des consultations.

Entre temps, la Cour d’appel saisie du litige sur la mission 1 va confirmer la décision de première instance, en relevant que la direction ne démontrait pas avoir convoqué le CE dans le délai de consultation qu’elle estimait applicable pour recueillir son avis, de sorte qu’elle ne pouvait pas opposer l’expiration du délai pour refuser de payer les honoraires de l’expert-comptable.

La direction formait un pourvoi contre cet arrêt.

Cette fois, c’est l’expert-comptable qui va saisir le TJ après avoir connaissance de l’arrêt précité, et obtenir gain de cause, le juge soulignant que le caractère prématuré de la désignation n’avait jamais été soulevé et qu’au contraire, un accord avait été trouvé sur le déroulement de l’expertise, valant engagement de l’entreprise sur lequel il n’y avait pas lieu de revenir.

La direction va relever appel de cette décision.

En septembre 2018, le CE va désigner pour la troisième fois l’expert-comptable, et la direction va à nouveau immédiatement contester les honoraires et le périmètre de la mission. Le CE va même devoir demander une réunion exceptionnelle, en mars 2019… pour sa propre consultation. La facture de l’expert-comptable ne sera pas réglée, les explications tenant à une désignation prématurée arrivant sept mois plus tard (mission 3).

Or, à cette date, la direction avait pris connaissance de l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel relative à la mission 2, qui écartait l’argument tenant au caractère prématuré de la désignation au regard du courrier de la direction actant un accord entre les parties sur le déroulement de l’expertise.

La direction va former un pourvoi contre cette décision.

En janvier 2020, le CE devenu CSE va désigner le même expert-comptable pour la quatrième année consécutive. A réception des honoraires prévisionnels, la direction a saisi le Tribunal d’une demande de réduction de leur montant ; mais le juge a relevé d’office l’irrecevabilité de la demande, sans inviter les parties à s’expliquer sur ce moyen. La direction a donc saisi la Cour de cassation. Les délais de consultation ont repris, et la facture définitive n’a été ni payée, ni contestée judiciairement dans le délai de dix jours (mission 4).

Au mois de juillet 2020, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi formé à l’occasion de la mission 1, et dit pour droit qu’« un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d’entreprise et l’employeur peut cependant fixer d’autres délais que ceux prévus à l’article R. 2323-1-1 précité, les prolonger, ou modifier leur point de départ » et approuvé la Cour d’appel d’avoir relevé qu’ « à la suite d’échanges avec le comité d’entreprise et le cabinet d’expertise, l’employeur a abondé la base de données économiques et sociales le 23 janvier 2017, provoqué une réunion extraordinaire du comité d’entreprise le 16 février 2017 pour discuter du périmètre et du coût de l’expertise puis fixé, conjointement avec le secrétaire du comité d’entreprise, au 27 avril 2017 la date de restitution des travaux d’expertise et de remise des avis du comité d’entreprise » pour en déduire que «les délais de consultation du comité d’entreprise, et par conséquent de l’expertise, avaient d’un commun accord été prolongés » (Cass.Soc.8.07.2020, 19.10-987).

En décembre 2020, pour la cinquième année consécutive, le CSE décide de se faire assister du même cabinet d’expertise-comptable à l’occasion de ses consultations annuelles obligatoires (mission 5).

La mission se déroule normalement, mais, à réception de la facture définitive, la direction va saisir le Tribunal judiciaire d’une demande de réduction des honoraires. Juste avant la clôture, la Cour de cassation rend sa décision relative à la mission 2, et rejette le pourvoi et souligne : « après une réunion de travail qui s’est tenue le 8 novembre 2017, la direction a adressé le même jour au cabinet d’expertise un courrier transcrivant le calendrier convenu pour le déroulement des missions, le calendrier des expertises en lien avec les consultations étant arrêté et la date du 16 février 2018 ayant été retenue pour la réunion du comité d’entreprise relative à la restitution des rapports d’expertise et d’expression des avis du comité d’entreprise sur la politique sociale et sur la situation économique et financière, et que l’employeur avait réglé une partie des honoraires, la cour d’appel a pu en déduire l’existence d’un accord par lequel l’employeur s’est engagé quant au bien-fondé de l’expertise ordonnée pour assister le comité d’entreprise lors des consultations sur la situation économique et financière de l’entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et d’emploi » (Cass.Soc.9.03.2022, 20-22.582).

En 2021, la mission 6 se déroule sans difficulté, et les honoraires sont payés.

Le 5 juillet 2022, le Tribunal judiciaire déboute la direction de sa contestation d’honoraires et, faisant droit à la demande reconventionnelle du cabinet d’expertise-comptable, la condamne à lui payer, outre les honoraires de la mission 5, ceux de la mission 3 jamais réglés, et ceux de la mission 4 puisque la facture définitive n’avait pas été contestée dans les délais.

L’entreprise fait appel.

Entretemps, le 6 avril 2022, la Cour de cassation a cassé la décision du premier juge relative à la mission 4, et renvoyé les parties devant la même juridiction.

Finalement, les parties se sont rapprochées et un accord a été trouvé. Le départ en retraite du président n’y est pas totalement étranger.

Aux dernières nouvelles, la mission 7 se déroule sans anicroche… et le feuilleton devrait s’arrêter là.

Cette saga aura permis d’éclaircir deux points :

  • L’accord relatif à l’aménagement du délai de consultation du CSE et du déroulement de l’expertise ne résulte pas nécessairement d’un accord collectif ou d’un accord formel avec le comité, mais peut être établi par un faisceau d’indices (communication d’informations, convocation à une réunion du comité au-delà du délai légal, échanges écrits sur un calendrier…)
  • Même informel, l’accord sur l’aménagement du délai de consultation et sur l’expertise engage l’employeur, et emporte renonciation à toute contestation relative notamment au caractère prématuré de la désignation de l’expert-comptable.

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