Travailleurs des plateformes: caractérisation du lien de subordination entre la plateforme de mise en relation et les travailleurs indépendants effectuant une prestation de transport ou de livraison.

Commentaire de l’arrêt obtenu dans une affaire défendue par Maître Manuel GREVY, Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

Historique

Dans un arrêt de 2018 rendu à l’encontre de la société TAKE IT EASY (Cass, soc, 28 avril 2018, 17-20079), la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la question du lien de subordination juridique entre des travailleurs indépendants et des plateformes issues de « l’ubérisation » de l’économie.

En effet, ces plateformes numériques font appel à des travailleurs indépendants payés à la commission. Ces travailleurs doivent se déclarer auto-entrepreneurs et être inscrits sur un registre du commerce et des sociétés. Cette inscription permet, aux travailleurs, mais surtout à la plateforme faisant appel à leurs services, de bénéficier de la présomption de non-salariat instaurée à l’article L.8221-6 du Code du travail.

Cette présomption de non-salariat n’est cependant pas irréfragable. Elle peut être renversée pour requalifier le contrat liant le donneur d’ordre (la plateforme) au travailleur indépendant en contrat de travail de travail.

Cette présomption peut être renversée, et c’est le texte lui-même qui le précise, par la démonstration que l’activité exercée par les travailleurs indépendants se déroule « dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanent » à l’égard du donneur d’ordre (article L.8221-6).

Pour retenir l’existence d’un lien de subordination, et donc d’un contrat de travail, la Cour de cassation a relevé plusieurs indices liés aux conditions effectives de travail des livreurs à vélo :

  1. « système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci » ;
  2. « la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier ».

La Cour fait reposer son appréciation sur ces deux éléments pour relever « l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination » (Cass, soc, 28 avril 2018, 17-20079). Cette définition du lien de subordination n’est pas nouvelle (voir notamment Cassation, soc, 13 novembre 1996, n°94-13.187)

Dans la lignée de l’arrêt « TAKE IT EASY », la Cour d’appel Paris a suivi le même raisonnement pour un travailleur de la société UBER. Dans un arrêt de janvier 2019, elle a estimé qu’il existait « un faisceau suffisant d’indices pour permettre à (salarié) de caractériser le lien de subordination » entre un chauffeur de VTC et la société UBER (CA PARIS, 10 janvier 2019, 18/08357).

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt de la Cour d’appel de Paris, énonçant les indices qui permettent cette caractérisation :

  • L’intégration du chauffeur à un service organisé pour effectuer une prestation de transport (obligation de passer par la plateforme organisé et géré exclusivement par la société UBER).

Ce point correspond à l’indice utilisé dans l’arrêt de 1996 définissant la notion de lien de subordination : « travail au sein d’un service organisé ».

  • L’absence totale de clientèle propre.

A ce titre, la Cour d’appel a développé ce point en faisant état de l’absence de choix des clients par les chauffeurs et de leur interdiction de garder les contacts des clients et

  • L’absence de liberté dans la fixation des tarifs et dans les conditions d’exercice de l’activité.

La CA relevait que les tarifs sont fixés contractuellement par UBER sans choix du chauffeur. Des corrections tarifaires peuvent être appliquées si le chauffeur choisit un itinéraire dit « inefficace ».

  • Le pouvoir de sanction de la société UBER reposant à la fois sur une possibilité de déconnection après un 3 refus consécutifs de courses et une possibilité d’interdiction d’accès à la plateforme en cas de mauvais taux d’annulation (rapport courses acceptées/refusées) ou de mauvais commentaires (signalement par clients).

Ces éléments permettent de caractériser un lien de subordination et de renverser la présomption de non-salariat qui vaut pour la personne physique inscrite sur un RCS (Cass, soc, 4 mars 2020, 19-13316).

A noter, s’agissant de l’inscription au RCS, que la Cour d’Appel de Paris a relevé qu’elle était, de fait, imposée au chauffeur sous peine pour ce dernier ne pas pouvoir se connecter à la plateforme.

Entre ces deux arrêts, le législateur est intervenu pour tenter de sécuriser le statut de ces travailleurs.

Par une loi du 24 décembre 2019 (n°2019-1428), le législateur a ajouté des articles à un Titre du Code du travail relatif aux travailleurs des plateformes numériques (issu de la loi du 8 août 2016).

Ainsi, les articles L.7342-8 et suivant disposent que les plateformes qui engagent des travailleurs chauffeurs/livreurs peuvent établir une charte de détermination de responsabilité sociale. Cette charte est soumise à l’autorité administrative compétence pour homologation. Le texte prévoit alors que l’homologation permet, en toute hypothèse, d’écarter la caractérisation d’un lien de subordination entre la plateforme et les travailleurs (article L.7342-9).

Cet article est une tentative de sauvetage du lien contractuel, souhaité exclusif de toute relation de travail, existant entre la plateforme et les chauffeurs ou coursiers.

Toutefois, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, laissant au juge la pleine liberté de déterminer s’il existe un lien de subordination (CC, 20 décembre 2019, 2019-794). Ce que la Cour de cassation a appliqué dans l’arrêt UBER de 2020 (Cass, soc, 4 mars 2020, 19-13316).

Preuve que le juge dispose encore pleinement de sa liberté d’apprécier l’existence d’un lien de subordination, plusieurs décisions l’ont caractérisé dans les mêmes cas d’espèce (CA PARIS, 18 février 2021, 20/04502 ; CA PARIS, 16 septembre 2021, 20/04963).

Dans ces deux arrêts, les mêmes indices permettant de caractériser le lien de subordination ont été relevés :

  • L’intégration du travailleur dans un service organisé exclusivement par la plateforme et sans lequel il ne peut pas exécuter son travail ;
  • L’absence de liberté dans l’organisation de l’activité et notamment le fait que les itinéraires soient imposés au risque de faire baisser la commission perçue ;
  • L’absence totale de liberté de choix dans la clientèle (d’ailleurs si plusieurs refus d’affilé, possibilité de se faire désactiver par la plateforme) et de possibilité de se constituer une clientèle propre (interdiction stricte de conserver les données des clients) ;
  • L’absence de liberté dans la fixation des tarifs pratiqués, uniquement fixés par la société ;
  • Un pouvoir de sanction.

 Ainsi, le mouvement jurisprudentiel se situe dans une logique de reconnaissance de l’existence d’un lien de subordination pour les travailleurs indépendants placés dans des situations similaires. Quelques arrêts refusent parfois la reconnaissance d’un lien de subordination. Ainsi, la Cour d’appel de Paris en octobre 2020 a adopté cette position jugeant que la preuve d’un travail effectué au sein d’un service organisé n’était pas établie ainsi que le pouvoir de sanction pas suffisamment caractérisé (CA Paris, 8 octobre 2020, 18/05471). Aucun pourvoi sur cette décision n’a été jugé par la Cour de cassation (absence de pourvoi ou alors pas encore

Commentaire de l’arrêt obtenu dans une affaire défendue par Maître Manuel GREVY, Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

Historique

Dans un arrêt de 2018 rendu à l’encontre de la société TAKE IT EASY (Cass, soc, 28 avril 2018, 17-20079), la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la question du lien de subordination juridique entre des travailleurs indépendants et des plateformes issues de « l’ubérisation » de l’économie.

En effet, ces plateformes numériques font appel à des travailleurs indépendants payés à la commission. Ces travailleurs doivent se déclarer auto-entrepreneurs et être inscrits sur un registre du commerce et des sociétés. Cette inscription permet, aux travailleurs, mais surtout à la plateforme faisant appel à leurs services, de bénéficier de la présomption de non-salariat instaurée à l’article L.8221-6 du Code du travail.

Cette présomption de non-salariat n’est cependant pas irréfragable. Elle peut être renversée pour requalifier le contrat liant le donneur d’ordre (la plateforme) au travailleur indépendant en contrat de travail de travail.

Cette présomption peut être renversée, et c’est le texte lui-même qui le précise, par la démonstration que l’activité exercée par les travailleurs indépendants se déroule « dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanent » à l’égard du donneur d’ordre (article L.8221-6).

Pour retenir l’existence d’un lien de subordination, et donc d’un contrat de travail, la Cour de cassation a relevé plusieurs indices liés aux conditions effectives de travail des livreurs à vélo :

  1. « système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci » ;
  2. « la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier ».

La Cour fait reposer son appréciation sur ces deux éléments pour relever « l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination » (Cass, soc, 28 avril 2018, 17-20079). Cette définition du lien de subordination n’est pas nouvelle (voir notamment Cassation, soc, 13 novembre 1996, n°94-13.187)

Dans la lignée de l’arrêt « TAKE IT EASY », la Cour d’appel Paris a suivi le même raisonnement pour un travailleur de la société UBER. Dans un arrêt de janvier 2019, elle a estimé qu’il existait « un faisceau suffisant d’indices pour permettre à (salarié) de caractériser le lien de subordination » entre un chauffeur de VTC et la société UBER (CA PARIS, 10 janvier 2019, 18/08357).

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt de la Cour d’appel de Paris, énonçant les indices qui permettent cette caractérisation :

  • L’intégration du chauffeur à un service organisé pour effectuer une prestation de transport (obligation de passer par la plateforme organisé et géré exclusivement par la société UBER).

Ce point correspond à l’indice utilisé dans l’arrêt de 1996 définissant la notion de lien de subordination : « travail au sein d’un service organisé ».

  • L’absence totale de clientèle propre.

A ce titre, la Cour d’appel a développé ce point en faisant état de l’absence de choix des clients par les chauffeurs et de leur interdiction de garder les contacts des clients et

  • L’absence de liberté dans la fixation des tarifs et dans les conditions d’exercice de l’activité.

La CA relevait que les tarifs sont fixés contractuellement par UBER sans choix du chauffeur. Des corrections tarifaires peuvent être appliquées si le chauffeur choisit un itinéraire dit « inefficace ».

  • Le pouvoir de sanction de la société UBER reposant à la fois sur une possibilité de déconnection après un 3 refus consécutifs de courses et une possibilité d’interdiction d’accès à la plateforme en cas de mauvais taux d’annulation (rapport courses acceptées/refusées) ou de mauvais commentaires (signalement par clients).

Ces éléments permettent de caractériser un lien de subordination et de renverser la présomption de non-salariat qui vaut pour la personne physique inscrite sur un RCS (Cass, soc, 4 mars 2020, 19-13316).

A noter, s’agissant de l’inscription au RCS, que la Cour d’Appel de Paris a relevé qu’elle était, de fait, imposée au chauffeur sous peine pour ce dernier ne pas pouvoir se connecter à la plateforme.

Entre ces deux arrêts, le législateur est intervenu pour tenter de sécuriser le statut de ces travailleurs.

Par une loi du 24 décembre 2019 (n°2019-1428), le législateur a ajouté des articles à un Titre du Code du travail relatif aux travailleurs des plateformes numériques (issu de la loi du 8 août 2016).

Ainsi, les articles L.7342-8 et suivant disposent que les plateformes qui engagent des travailleurs chauffeurs/livreurs peuvent établir une charte de détermination de responsabilité sociale. Cette charte est soumise à l’autorité administrative compétence pour homologation. Le texte prévoit alors que l’homologation permet, en toute hypothèse, d’écarter la caractérisation d’un lien de subordination entre la plateforme et les travailleurs (article L.7342-9).

Cet article est une tentative de sauvetage du lien contractuel, souhaité exclusif de toute relation de travail, existant entre la plateforme et les chauffeurs ou coursiers.

Toutefois, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, laissant au juge la pleine liberté de déterminer s’il existe un lien de subordination (CC, 20 décembre 2019, 2019-794). Ce que la Cour de cassation a appliqué dans l’arrêt UBER de 2020 (Cass, soc, 4 mars 2020, 19-13316).

Preuve que le juge dispose encore pleinement de sa liberté d’apprécier l’existence d’un lien de subordination, plusieurs décisions l’ont caractérisé dans les mêmes cas d’espèce (CA PARIS, 18 février 2021, 20/04502 ; CA PARIS, 16 septembre 2021, 20/04963).

Dans ces deux arrêts, les mêmes indices permettant de caractériser le lien de subordination ont été relevés :

  • L’intégration du travailleur dans un service organisé exclusivement par la plateforme et sans lequel il ne peut pas exécuter son travail ;
  • L’absence de liberté dans l’organisation de l’activité et notamment le fait que les itinéraires soient imposés au risque de faire baisser la commission perçue ;
  • L’absence totale de liberté de choix dans la clientèle (d’ailleurs si plusieurs refus d’affilé, possibilité de se faire désactiver par la plateforme) et de possibilité de se constituer une clientèle propre (interdiction stricte de conserver les données des clients) ;
  • L’absence de liberté dans la fixation des tarifs pratiqués, uniquement fixés par la société ;
  • Un pouvoir de sanction.

 Ainsi, le mouvement jurisprudentiel se situe dans une logique de reconnaissance de l’existence d’un lien de subordination pour les travailleurs indépendants placés dans des situations similaires. Quelques arrêts refusent parfois la reconnaissance d’un lien de subordination. Ainsi, la Cour d’appel de Paris en octobre 2020 a adopté cette position jugeant que la preuve d’un travail effectué au sein d’un service organisé n’était pas établie ainsi que le pouvoir de sanction pas suffisamment caractérisé (CA Paris, 8 octobre 2020, 18/05471). Aucun pourvoi sur cette décision n’a été jugé par la Cour de cassation (absence de pourvoi ou alors pas encore

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